http://www.conscience-politique.org/2006/remondcpetraditionfrancaise.htm
CPE : une tradition bien française
La France est un pays de traditions. Des traditions qui suscitent la curiosité de nos voisins tant elles paraissent en décalage avec les mœurs et pratiques rencontrées ailleurs. A ce patrimoine « culturel » bien français contribuent essentiellement les fromages, les vins, les Folies Bergères et aussi les manifestations d’étudiants à répétition.
A chaque fois qu’un gouvernement cherche à réformer le système éducatif ou à aménager le code du travail en faveur de l’insertion des jeunes, les syndicats étudiants et lycéens noyautés par la gauche et l’extrême gauche descendent dans la rue. Loi Devaquet de 1986, CIP du gouvernement Balladur en 1994, et maintenant Contrat Première Embauche de Dominique de Villepin, toutes ces réformes timides ont suscité l’hostilité viscérale du monde étudiant et lycéen avant même qu’elles n’aient fait la preuve pratique de leur efficacité.
Des crispations bien françaisesLe psychodrame entourant le CPE est une illustration de crispations bien françaises. D’un coté, des syndicats étudiants déconnectés du monde du travail et sourds à la réalité de l’économie réelle essentiellement dominée par les PME-PMI à défaut des grandes entreprises pouvant se payer le luxe d’un code du travail hyper-protecteur. Comme leurs aînés, les syndicalistes étudiants rêvent d’une société adossée à une fonction publique tentaculaire alors que la vitalité de notre économie repose sur ces petites et moyennes entreprises pourtant confrontées à une croissance en berne et à l’importance des prélèvements obligatoires.
De l’autre, un gouvernement Villepin qui croit que la réduction drastique du chômage des jeunes passe davantage par le traficotage de la législation plutôt que par une vraie politique ambitieuse de croissance associée à une réforme complète du code de travail. Un Dominique de Villepin qui perpétue les mauvaises habitudes des gouvernements successifs en décidant, seul au fond de son bureau et entouré d’une brochette de technocrates, d’un CPE qui ne fait même pas l’unanimité chez les patrons des PME-PMI. Cette absence de soutien trahit l’absence totale de concertations avec les acteurs sociaux et les organisations patronales, alors que le rôle d’un réformateur réside aussi dans cette capacité d’écoute, de dialogue, de persuasion avant l’action. Il est vrai que la faiblesse représentative des syndicats nourrit leur course à la démagogie, à leur surdité aux réalités économiques et à l’impossibilité de faire accepter à travers eux les réformes nécessaires.
Une mesure insuffisanteMême si le CPE va dans le bon sens en remédiant partiellement à la rigidité du code du travail, une grave illusion consisterait à l’accréditer des qualités suffisantes pour faire durablement reculer le chômage des jeunes, cette véritable plaie de notre société française. Certes, la rigidité actuelle du code du travail rend très dissuasive l’embauche de nouveaux salariés, surtout quand un climat macroéconomique incertain prive de lisibilité des entreprises qui craignent l’impossibilité de licencier en cas de retournement de la conjoncture. Mais quand une entreprise recrute, elle le fait sur des bases rationnelles qui lui permettent d’affirmer qu’elle aura de toute façon besoin d’un nouveau salarié. L’incertitude liée à la conjoncture joue un rôle mineur devant l’obligation de répondre à un besoin clairement identifié en termes de ressources humaines. La question n’est donc pas de faciliter l’embauche d’un nouveau salarié qui aurait eu lieu avec ou sans CPE, mais de savoir pourquoi les entreprises se contentent de recruter aussi peu de salariés pour répondre à leur besoin de développement. D’où une interrogation centrale à laquelle le CPE n’offre aucune réponse : pourquoi, pour un taux de croissance donné, la France produit-elle moins d’emplois que chez nos voisins européens ?
Une vraie politique d’emploi à travers une vraie politique de croissanceSi notre croissance s’avère aussi pauvre en création d’emplois, c’est parce que l’emploi demeure très cher pour des entreprises écrasées sous le poids des charges sociales et patronales. Une vraie politique de l’emploi consiste donc à renouer avec une vraie politique de croissance à travers une réduction des charges pesant sur les entreprises et les particuliers. L’importance des prélèvements obligatoires dans notre pays, plus de la moitié des richesses produites, fige durablement le dynamisme de notre tissu économique au profit d’un Etat qui stérilise l’esprit d’entreprise et la créativité. Cette réduction impérieuse des prélèvements obligatoires en général, des charges sociales et patronales en particulier, nécessite une forte réduction des dépenses publiques et un dégraissage du nombre de fonctionnaires en tirant profit des départs massifs à la retraite des baby-boomers. L’allègement des charges passe également par une vraie rupture avec le système actuel des retraites par répartition qui, malgré les réformes insuffisantes engagées sous le gouvernement Raffarin, conduira notre pays à la faillite à cause du resserrement démographique et de l’élévation de l’espérance de vie.
Ainsi, si les jeunes voulaient manifester contre les vraies raisons de leur précarité, ils devraient davantage le faire contre les syndicats actuels qui surprotègent leurs aînés et maintiennent un système de retraite qu’eux-mêmes financent sans jamais pouvoir en profiter. Ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui devront payer la facture d’une dette faramineuse qui s’élève à 1 000 milliards d’euros, soit 65% du PIB. Rappelons que le remboursement des seuls intérêts de la dette équivaut au prélèvement de l’impôt sur les revenus. Tout français qui naît aujourd’hui doit déjà environ 20 000 euros à la collectivité… Bien entendu, ces problèmes structurels d’une France qui vit au-dessus de ses moyens ne semblent inquiéter ni le gouvernement chiraquien, ni les syndicats, lesquels préfèrent s’affronter sur une question hors sujet comme le CPE pour mieux éviter les sujets qui fâchent comme la faillite financière de la France.
Réformer le système éducatifLes jeunes devraient également se demander pourquoi leurs diplômes parfois brillants ne constituent pas une garantie d’insertion rapide sur le marché du travail. La réalité, c’est que le chômage excessivement élevé des jeunes démontre toute l’inadéquation entre un système éducatif tourné vers la production d’une certaine élite et les besoins réels des entreprises. L’importance des emplois non pourvus en France, notamment dans le secteur du bâtiment, illustre l’impuissance du système éducatif à répondre aux nécessités d’une économie réelle préférant la pratique à la théorie. La hantise de la professionnalisation des filières, la faible sensibilisation à l’entreprise dès le collège et le lycée, l’insuffisance des stages contribuent à cet échec d’un système éducatif mal adapté aux besoins des PME-PMI.
Pour faire durablement reculer le chômage des jeunes, la réforme du système éducatif s’impose. Cette réforme passe par le renforcement des postes de conseillers d’orientations pour éviter la ruée sur des filières à faibles débouchées comme les sciences humaines et autres « philosophies appliquées », la multiplication des stages en entreprises, l’intervention plus régulière des acteurs des PME-PMI au sein de l’école, la professionnalisation des filières.
La refonte complète du système éducatif, la réduction des dépenses publiques et la rupture avec un système de retraite injuste sont autant d’étapes indispensables pour réformer en profondeur notre pays. Tant que le système chiraquien et son immobilisme légendaire seront au pouvoir, les jeunes auront raison de manifester leur colère en raison de leur précarité, bien qu’ils se trompent de cible en refusant toute réforme du code du travail. Car les vraies réformes courageuses sont devant nous, et il faudra attendre au mieux 2007 pour espérer en entrevoir l’amorce.
Constant RémondMars 2006